Le jour où j’ai cessé d’être féministe (ou le syndrôme de Blanche-Neige)

8 Mar

C’est la journée de la femme mais c’est bien la dernière fois pour moi, parce que demain, je ne serai plus féministe. Ca ne sert à rien.

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Tout remonte à un lunch il y a quelques semaines avec une de mes amies les plus proches, que j’admire pour des tas de raisons, dont son intelligence et sa lucidité. On discutait de la difficulté d’être femme et ambitieuse et de tous les coups que l’on se prend lors de notre parcours parce que l’on ne “reste pas à notre place”. J’étais partie dans un litanie sur le plafond de verre, les doubles standards et l’injustice de tout cela. Et je m’attendais à un peu de soutien, sauf que j’ai eu droit à “Oui, en effet, mais c’est toi qui a tout faux, tu n’y arriveras jamais comme ça”. C’est là qu’on a discuté du syndrôme de Blanche-Neige.

Oui, les femmes sont traitées différemment dans le monde de l’entreprise. Mis à part une exception notable dans mon parcours, où j’ai eu la chance de travailler pour des personnes vraiment intelligentes, il y a toujours eu des différences. Surtout dans des business models concentrés exclusivement sur les femmes (et j’ai freelancé à beaucoup d’endroits) où on me demande de faire la vaisselle et le café quand il n’y a que des hommes dans l’assemblée, où “me demander mon avis” équivaut à ne vouloir entendre que des louanges, où je suis plus écoutée en tant que maman qu’en tant qu’employée/freelance, où s’exprimer “comme un homme” (a savoir dire ce qu’on pense clairement et sans 1001 détours) me valait de ne pas être écoutée.

La société a évolué à toute vitesse. Si je compare ma situation avec celle de ma mère et ma grand-mère, je ne peux qu’être admirative du chemin parcouru par les hommes vers l’égalité. Vraiment. Je vote, je gagne ma vie, je ne suis même plus jugée négativement en tant que maman célibataire. Il y a 100 ans, j’aurais pu jouer dans les Misérables et en 2013, je profite d’une liberté qu’aucune autre génération de femmes n’a connu avant moi.

Sauf que. Il n’y a toujours pas d’égalité. De grands progrès ne veut pas dire que l’on est traitées pareil. Salaires, possibilités de carrière, horaires, responsabilités familiales, on est loin de l’égalité. Mais, même si cela me ronge, j’ai compris que cela ne servait à rien de se battre au quotidien pour obtenir le même respect, le même statut.

Hate the game, don’t hate the player.

Ce que cette amie m’expliquait avoir compris il y a longtemps, c’est qu’il faut être réaliste: ce n’est pas égalitaire et cela ne le sera peut-être jamais. On peut perdre nos forces (et nos jobs) à force de se battre ou on peut la jouer “Blanche-Neige”.

On en connait toutes, ces femmes qui ont compris qu’il fallait utiliser le jeu et non récriminer contre son réglement. Celles qui “tortillent du c..” (pour reprendre une expression maintes fois entendue), celles qui brossent dans le sens du poil, celles qui jouent les gentilles soumises, celles qui vont toujours donner raison, celles qui vont proposer d’elles-mêmes de faire le café et de tout nettoyer en cuisine après, celles qui acceptent de faire croire que leur idée géniale est celle de leur boss et qui vont aller jusqu’à le féliciter pour cette initiative, celles qui dirigent une équipe mais vont tout de même finir leurs mails par “Qu’en penses-tu?” plutôt que “Voici ce qu’il faut faire”, celles qui vont blâmer leurs hormones et leurs “émotions de femme” pour justifier une prise de position qui n’aura pas été appréciée, celles qui vont fondre en larmes pour éviter une situation difficile. Celles qui ont l’air de s’être résignées et de trouver normal de ne jamais être reconnues pour leur travail. Celles qui ont l’air d’une princesse Disney en péril tellement sans défense qu’elle a peur des arbres en forêt et ira croquer dans une pomme empoisonnée sans se poser de question afin d’être sauvée par un chevalier blanc en armure. Les pauvres petites gentilles innocentes en attente d’être sauvées par ces hommes forts et tellement plus malins.

Mais ce sont aussi celles qui ont appris à faire passer leur idée en douce, à force que formules diplomatiques;  celles qui mine de rien vont proposer leur idée sous 15 formes différentes et innocentes jusqu’à ce qu’une soit prise; celles qui utilisent le compliment sous forme de manipulation;  celles qui ne se permettent jamais de dire ce qu’elles pensent sans avoir travaillé une formulation innocente sous tout rapport car elles savent qu’autrement ce ne sera pas suivi, même si elles sont directrices ou manager; celles pour qui jouer la victime est leur plus grande force.

On ne verra jamais un livre ou un article sur “Femmes: comment avancer au boulot” qui prendra en compte les 1001 précautions qu’elles prennent au quotidien pour gérer leur carrière sans s’attirer la désapprobation de ces collègues/patrons masculins qui ont hérité (parfois sans s’en rendre compte) des préjugés sexistes sociaux du siècle passé. Ce n’est pas politiquement correct. Ce n’est pas féministe. Ce n’est pas valorisant.  C’est tabou. (Je me demande d’ailleurs combien de temps il faudra pour me prendre des insultes sur le web suite à ce post). Mais ça marche. Ca marche tellement bien que c’en est affligeant, pour les femmes et pour les hommes.

Alors voilà, de tout ceci, j’ai compris que me battre de front pour ce que j’estime être mes droits ne sert à rien. Je me fais traiter de “sale féministe”, de “chienne de garde”, on dit que j’exagère, que je joue avec le feu, qu’un poste, ça se perd… Le message est bien passé, je vais essayer de me taire. Et j’apprendrai à ma fille à vouloir cette égalité mais à se préparer pour le statu quo.

Au point de la jouer Blanche-Neige, par contre, je ne crois pas. Enfin, je dis ça, mais c’est surtout qu’avec la meilleure volonté du monde, je ne pense pas en être capable. Parfois, j’aimerais bien y arriver tellement cela fonctionne, mais les seules fois où j’ai essayé, j’ai eu l’impression de me perdre totalement. Me taire sera mon effort, ma princesse Disney à moi: plus Ariel que Blanche-Neige.

Sur ce, je retourne à mes vernis et mes fards à paupières…

PS: à tous ceux qui vont me dire “tous les hommes ne sont pas comme ça”, je dis déjà qu’ils ont raison. C’est vrai. Et le fait d’avoir travaillé dans le lifestyle ou les médias est probablement un facteur car j’espère que ce n’est pas le cas partout. Mais c’est le cas encore trop souvent, par contre.  

4 Responses to “Le jour où j’ai cessé d’être féministe (ou le syndrôme de Blanche-Neige)”

  1. cécile March 8, 2013 at 1:49 pm #

    Je n’avais jamais entendu parler du syndrome de blanche neige, mais effectivement, je trouve que c’est de plus en plus courant. Mes idées, je les ai toujours faites passer dans ce semblant de douceur, et c’est beaucoup plus efficace que de crier haut et fort ce qu’on pense.
    Je n’arrive toujours pas à me décider : est-ce positif ou non ?

    Merci pour cet article, vraiment très intéressant 🙂

  2. Lyanna March 8, 2013 at 4:52 pm #

    Salut, je t’ai nominée pour les Liebster award ici : http://memyself-andmakeup.blogspot.fr/2013/03/liebster-award.html
    Au plaisir de te lire 🙂

  3. Eva Sirgi (@JustBeCreation) March 10, 2013 at 4:32 pm #

    J’ai pris a malin plaisir à lire cet article 🙂

    Je joue entre les deux en fonction des situations mais je ne pourrais pas (je n’ose pas dire jamais) arrêter de me battre pour la femme! Et puis fermer ma geule, c’est pas mon truc :p

    Merci pour ta tartine Ariel ❤

  4. ninaetmilo March 15, 2013 at 7:30 pm #

    C’est tellement ça! Et plus les jours passent, plus j’en viens au même constat…
    Et je n’arrive pas à dire si c’est triste, ou si je me sens mieux comme ça 😉
    (PS: Ravie de retrouver ta plume sur le web :))

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